Je viens de passer trois semaines à examiner les chiffres du secteur mode premium, et le constat est sans appel : nous assistons à une véritable tempête dans ce segment autrefois insubmersible. Un changement radical s’opère dans le paysage de ce que j’appelle « le luxe accessible », où des marques comme The Kooples et Ba&sh, qui semblaient immunisées contre les difficultés du secteur textile, montrent désormais de sérieux signes de faiblesse.
L’effondrement du modèle premium : quand le luxe accessible décroche
Rappelez-vous ces enseignes mass market qui tombaient comme des mouches – Camaïeu, Gap, Burton – pendant que les marques premium vous regardaient de haut, confortablement installées dans leur segment? Cette époque est révolue. En novembre 2024, Ba&sh s’est placée en procédure de sauvegarde accélérée, malgré un chiffre d’affaires dépassant les 300 millions d’euros. Plus inquiétant encore, The Kooples est en passe d’être vendue à Verdoso, un groupe spécialisé dans les entreprises en difficulté.
Le groupe suisse MF Brands, propriétaire actuel de The Kooples (et également de Lacoste et Aigle), préfère visiblement abandonner le navire plutôt que de financer une relance coûteuse. Cette décision en dit long sur la confiance qu’inspirent désormais ces marques auprès de leurs investisseurs. Lors de mes entretiens avec plusieurs dirigeants du secteur, j’ai noté cette phrase qui revient régulièrement: « L’heure de gloire de la mode premium est derrière nous ».
Ce qui me frappe particulièrement, c’est l’aveuglement de certains acteurs. Comme me l’a confié Joël Hazan, expert reconnu du secteur: « Beaucoup de marques ne veulent pas voir qu’elles sont en grand danger. Après la chute des enseignes de milieu de gamme, j’imagine très bien le même scénario catastrophe pour la mode premium ».
La dette et l’inflation: cocktail mortel pour ces enseignes
L’une des principales causes de cette crise réside dans le modèle économique qu’ont adopté ces marques. Pendant des années, elles se sont développées à crédit, multipliant les ouvertures de boutiques à travers le monde. Cette stratégie fonctionnait tant que les ventes suivaient. Mais l’inflation post-Ukraine a drastiquement changé la donne, comme j’ai pu le constater lors de mon analyse des tendances actuelles du secteur dans le cadre des tendances industrielles 2025: 12 innovations qui transforment le secteur.
Frédéric Biousse, que j’ai rencontré récemment à Lyon, ancien dirigeant du groupe SMCP et actuel président des Domaines de Fontenille, m’expliquait: « Un certain nombre de marques se sont construites sur de la dette pour multiplier les ouvertures de magasins. Cette dette, conjuguée aux PGE (prêts garantis par l’État), devient trop lourde à rembourser. »
Le groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot) illustre parfaitement cette tendance. Sur les neuf premiers mois de 2024, son chiffre d’affaires a reculé de 2,7%, atteignant péniblement 878 millions d’euros. Les fermetures de points de vente se multiplient, même si Sandro reste relativement épargnée comparée à Maje et Claudie Pierlot.
Marque | Situation actuelle | Perspectives |
---|---|---|
The Kooples | En vente à un groupe spécialisé dans les entreprises en difficulté | Restructuration profonde attendue |
Ba&sh | Procédure de sauvegarde accélérée, renégociation de dette | Repositionnement stratégique en cours |
SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot) | Recul du CA de 2,7% sur 9 mois | Rationalisation du parc de magasins |
Pourquoi les consommateurs désertent le premium?
À travers mes échanges avec des consommateurs, j’ai identifié plusieurs facteurs expliquant leur désaffection pour ces marques autrefois adulées:
- Un rapport qualité-prix perçu comme détérioré face à l’inflation des prix
- Une préférence pour les expériences (voyages, restaurants) plutôt que les biens matériels
- L’essor du marché de seconde main qui permet d’acquérir ces mêmes marques à moindre coût
- L’influence croissante des réseaux sociaux dans les décisions d’achat
Victoire, une Parisienne de 24 ans que j’ai interviewée la semaine dernière, m’a confié: « Ba&sh, The Kooples, Maje? Je n’achète plus ces marques qu’en seconde main. Je trouve que c’est devenu trop cher pour ce que c’est. » Cette réflexion résume parfaitement le changement de perception qui s’opère chez les consommateurs, particulièrement chez les jeunes urbains.
Emilie Rodié, directrice marketing chez Ba&sh, m’a expliqué leur stratégie d’adaptation: « Nous allons réaffirmer notre différence, privilégier des magasins plus grands, refondre notre site internet et développer des services exclusifs pour nos meilleures clientes. » Mais sera-ce suffisant pour enrayer la chute?
Quels acteurs survivront à cette crise?
Le secteur du premium n’est pas condamné en bloc. Dans cette tempête, certaines marques tirent leur épingle du jeu. Je pense notamment à Sœur, Sessun ou Balzac qui continuent leur progression malgré le contexte défavorable. Leur secret? Une identité forte, une communication authentique et une véritable créativité.
Ami Paris, par exemple, se présente comme une maison de vêtements de luxe inspirée par Paris et s’appuie sur une communauté engagée sur les réseaux sociaux. Le résultat est impressionnant: alors que d’autres licencient, cette marque continue de croître et d’ouvrir de nouveaux points de vente.
Selon mon analyse, les marques qui survivront sont celles qui ont su maintenir un véritable ADN créatif, plutôt que de se reposer sur des stratégies marketing et des ouvertures frénétiques de magasins. Comme me l’a si bien expliqué Frédéric Biousse: « Il y a de la place pour tout le monde, à condition de mettre l’accent sur le design et la créativité, avant le marketing et la distribution. »
Dans ce secteur né il y a une trentaine d’années avec des pionniers comme Comptoir des Cotonniers, Zadig & Voltaire ou Paul & Joe, nous assistons aujourd’hui à un bouleversement majeur. Certaines marques disparaîtront, d’autres se réinventeront, mais le luxe accessible, tel que nous l’avons connu, ne sera plus jamais le même.