Je constate que la biodiversité se dégrade à une vitesse alarmante, et pourtant nous continuons à parler de croissance économique comme si ces deux réalités n’étaient pas intimement liées. Saviez-vous que plus de 50% du PIB mondial dépend directement de la nature et de ses services ? Cette interdépendance fondamentale entre notre économie et les écosystèmes naturels n’est plus à confirmer, mais encore trop souvent ignorée dans les salles de conseil d’administration. Alors que le rapport de l’IPBES de 2019 nous alertait déjà sur l’extinction de plus d’un million d’espèces, il est grand temps d’chercher comment les entreprises peuvent contribuer à inverser cette tendance tout en restant performantes. Après tout, la préservation de la biodiversité n’est pas qu’une contrainte – c’est aussi un formidable gisement d’opportunités pour qui sait les saisir.

Les interdépendances entre entreprises et biodiversité

La dépendance des activités économiques aux services écosystémiques

Installé dans mon bureau lyonnais avec vue sur les toits, je réalise à quel point notre économie repose sur ce que la nature nous offre gratuitement. Les services écosystémiques fournis par la biodiversité constituent le socle invisible de nombreux secteurs d’activité. Ces services, que j’ai analysés pendant des années pour diverses publications économiques, se déclinent en plusieurs catégories essentielles à notre survie et notre prospérité.

Les services d’approvisionnement nous fournissent matières premières, nourriture et médicaments. Vous pensez que l’industrie pharmaceutique pourrait exister sans la diversité génétique des plantes ? Plus de 70% des médicaments anticancéreux proviennent directement ou sont inspirés de substances naturelles. La dépendance des entreprises à ces ressources biologiques est particulièrement visible dans l’agroalimentaire où la pollinisation représente une valeur économique mondiale estimée à 577 milliards de dollars annuels.

Les services de régulation ne sont pas moins cruciaux. Quand je visite des zones industrielles implantées près de zones humides, je rappelle souvent aux dirigeants que ces écosystèmes leur offrent gratuitement une protection contre les inondations et une épuration naturelle des eaux. Un service que certaines entreprises commencent enfin à valoriser dans leur comptabilité extra-financière.

Les impacts des activités d’entreprise sur la biodiversité

Soyons honnêtes, si la biodiversité mondiale connaît une crise sans précédent, c’est en grande partie à cause de nos modèles économiques. Le déclin de 68% des populations de vertébrés en moins d’un demi-siècle n’est pas tombé du ciel. Il résulte de cinq facteurs principaux, tous intimement liés à nos activités industrielles et commerciales.

  • Le changement d’usage des sols, avec l’artificialisation croissante des territoires pour nos zones commerciales et industrielles
  • La surexploitation des ressources naturelles, comme dans l’industrie de la pêche où 33% des stocks sont exploités à des niveaux non durables
  • Les différentes formes de pollution, notamment les 8 millions de tonnes de plastique qui finissent chaque année dans les océans
  • Le changement climatique, qui bouleverse les cycles naturels et les habitats
  • La propagation d’espèces invasives, favorisée par le commerce mondial

À chaque conférence sur la transformation écologique des entreprises, je constate le même phénomène : nous parlons beaucoup du climat, mais la biodiversité reste le parent pauvre des stratégies environnementales. Un comble quand on sait que ces deux crises sont indissociables !

L’analyse des risques liés à la biodiversité

Pour avoir interrogé des dizaines de directeurs financiers, je peux vous affirmer que l’intégration des risques liés à l’érosion de la biodiversité dans les stratégies d’entreprise reste embryonnaire. Pourtant, ces risques sont bien réels et multidimensionnels.

Les risques opérationnels sont les plus évidents : ruptures d’approvisionnement, pénuries de matières premières, perturbations des chaînes logistiques. L’entreprise qui dépend d’une ressource menacée joue dangereusement avec sa pérennité. Les risques réglementaires ne sont pas en reste avec l’émergence de nouvelles directives comme la CSRD ou la RDUE qui imposent une transparence accrue sur les impacts environnementaux.

Les risques de marché et de réputation prennent également de l’ampleur. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’empreinte écologique des produits qu’ils achètent, et une controverse environnementale peut rapidement entacher l’image d’une marque. J’ai vu des entreprises perdre des millions en capitalisation boursière suite à des scandales liés à la déforestation ou à la pollution des écosystèmes.

Intégrer la biodiversité dans la stratégie d’entreprise : méthodologie et approches

Diagnostic et évaluation de l’empreinte biodiversité

Avant de prétendre agir pour la nature, encore faut-il comprendre son empreinte réelle. Le diagnostic initial constitue la pierre angulaire de toute démarche sérieuse en faveur de la biodiversité. J’accompagne régulièrement des entreprises dans cette phase cruciale qui permet d’identifier précisément les interdépendances avec le vivant.

Plusieurs outils se distinguent pour évaluer l’impact des activités économiques sur la biodiversité. Le Global Biodiversity Score développé par CDC Biodiversité permet de quantifier l’empreinte biodiversité d’une entreprise ou d’un portefeuille d’investissement. Plus accessible aux PME, le Diag Biodiversité proposé par BpiFrance et l’OFB offre un accompagnement par un expert agréé, avec 40% des coûts pris en charge.

Ce diagnostic doit couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis l’approvisionnement jusqu’à la fin de vie des produits. La cartographie des parties prenantes complète utilement cette analyse pour anticiper les attentes croissantes en matière de préservation des écosystèmes.

Élaboration d’un plan d’action biodiversité

Une fois le diagnostic posé, vient le moment de concevoir un plan d’action biodiversité pertinent et efficace. L’erreur la plus commune que j’observe ? Se contenter d’actions périphériques qui ne transforment pas réellement le modèle d’affaires. Une ruche sur le toit du siège social ne suffit pas à faire une stratégie biodiversité !

La méthodologie que je recommande aux entreprises que j’accompagne dans leurs transformations repose sur quatre piliers fondamentaux :

  1. La priorisation des enjeux selon leur matérialité pour l’entreprise et leur impact sur la biodiversité
  2. La formalisation d’une feuille de route avec des objectifs SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes, Temporellement définis)
  3. L’engagement interne à tous les niveaux hiérarchiques, avec des formations adaptées
  4. La mise en place d’indicateurs de suivi pour mesurer l’efficacité des actions entreprises

L’intégration d’actions liées au cœur de métier est absolument essentielle. La Stratégie nationale biodiversité 2030 l’a bien compris en exigeant qu’au moins une action du plan soit directement liée à l’activité principale de l’entreprise.

Les trois leviers stratégiques

Dans mes analyses pour différents médias économiques, j’ai identifié trois approches stratégiques complémentaires pour intégrer la biodiversité dans le modèle d’affaires des entreprises.

Le premier levier consiste à reconnaître la biodiversité comme une ressource économique fondamentale. Cette approche implique de valoriser les services écosystémiques dans les décisions d’investissement et de développement. Certaines entreprises pionnières vont jusqu’à intégrer le capital naturel dans leur comptabilité.

Le deuxième levier s’appuie sur la biodiversité comme socle de valorisation des actions menées. Labels, certifications et communications permettent de transformer l’engagement écologique en avantage concurrentiel. J’observe que ce levier est particulièrement prisé par les entreprises B2C soucieuses de leur image.

Le troisième levier, plus défensif, aborde la biodiversité comme un objet réglementaire. Il s’agit d’anticiper les évolutions législatives pour éviter les risques de non-conformité et les pénalités associées. Cette approche, bien que moins ambitieuse, constitue souvent la porte d’entrée pour de nombreuses PME.

Les bénéfices concrets de l’intégration de la biodiversité pour la performance économique

Innovation et développement de nouveaux marchés

En parcourant les salons d’innovation, j’ai pu constater que le biomimétisme inspire de plus en plus d’entreprises dans leur R&D. Cette démarche qui consiste à s’inspirer du vivant pour innover ouvre des perspectives fascinantes. Et pour cause : après 3,8 milliards d’années d’évolution, la nature a développé des solutions d’une efficacité redoutable que nos ingénieurs s’efforcent de reproduire.

Le tissu auto-nettoyant inspiré de la feuille de lotus, les trains à grande vitesse japonais dont le nez s’inspire du martin-pêcheur pour réduire la résistance à l’air, ou encore les peintures structurelles aux couleurs changeantes comme les ailes de papillon… Autant d’innovations issues de l’observation des écosystèmes.

Secteur d’activité Innovation inspirée par la biodiversité Bénéfice économique
Bâtiment Ventilation naturelle inspirée des termitières Réduction de 90% des besoins énergétiques pour la climatisation
Transport Aérodynamisme inspiré des oiseaux migrateurs Diminution de 15-20% de la consommation de carburant
Médical Adhésifs médicaux inspirés des geckos Marché estimé à 3 milliards de dollars en 2025
Textile Fibres résistantes inspirées des toiles d’araignées Matériaux 5 fois plus résistants que l’acier à poids égal

Ces innovations ne se contentent pas d’améliorer l’existant – elles créent de nouveaux marchés. Le marché mondial du biomimétisme devrait atteindre 18,5 milliards de dollars d’ici 2028, avec une croissance annuelle de 10,8%. Une opportunité que je recommande vivement d’étudier aux entreprises en quête de différenciation.

Amélioration de l’image et avantage concurrentiel

Dans mon travail d’analyse des tendances entrepreneuriales, j’observe que l’engagement en faveur de la biodiversité renforce considérablement l’image de marque. Et les chiffres sont éloquents : 88% des consommateurs attendent désormais des marques qu’elles agissent concrètement pour l’environnement.

Cette attente se traduit directement dans les comportements d’achat. Lors d’une récente étude que j’ai analysée pour Entreprises & Croissance, 73% des consommateurs se disaient prêts à payer davantage pour des produits respectueux de la biodiversité. La préservation de la nature devient ainsi un véritable argument commercial et un facteur de différenciation sur des marchés saturés.

L’attractivité auprès des investisseurs constitue un autre avantage majeur. Les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) sont désormais scrutés par les gestionnaires d’actifs. J’ai récemment interviewé plusieurs fonds d’investissement qui intègrent systématiquement une analyse des risques biodiversité dans leurs décisions de placement. Une entreprise proactive sur ces enjeux accède plus facilement aux financements et à des conditions plus avantageuses.

Productivité et anticipation réglementaire

Voici un aspect souvent négligé : l’impact positif des espaces naturels sur la productivité et le bien-être des collaborateurs. Les études scientifiques sont formelles – la présence d’éléments naturels dans l’environnement de travail peut augmenter la productivité jusqu’à 15% et réduire l’absentéisme.

J’ai visité des entreprises qui ont transformé leurs espaces extérieurs en véritables refuges de biodiversité, avec des jardins partagés et des zones de détente arborées. Non seulement ces aménagements améliorent la qualité de vie au travail, mais ils renforcent également l’attractivité de l’entreprise dans un contexte de guerre des talents.

L’anticipation réglementaire représente un autre bénéfice économique tangible. Les directives européennes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et RDUE (Règlement sur la Déforestation de l’Union Européenne) imposent des obligations croissantes en matière de reporting environnemental. Le Forum Éco-Entreprises a récemment mis en lumière ces nouvelles exigences réglementaires et les opportunités qu’elles représentent pour les entreprises proactives.

Programmes et initiatives pour engager son entreprise en faveur de la biodiversité

Le programme « Entreprises engagées pour la nature »

Si vous cherchez un cadre structuré pour votre démarche biodiversité, le programme « Entreprises engagées pour la nature » (EEN) porté par l’Office français de la biodiversité mérite toute votre attention. J’ai eu l’occasion d’analyser son fonctionnement pour plusieurs publications économiques, et je dois reconnaître que ce dispositif a le mérite de la clarté.

Accessible aux entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, EEN propose une méthodologie éprouvée pour élaborer un plan d’action biodiversité. La procédure de candidature exige une stratégie comprenant au minimum deux actions, dont une liée au cœur de métier – une exigence salutaire qui pousse à repenser les processus fondamentaux plutôt que de se contenter d’actions périphériques.

Deux formulaires sont proposés selon la taille de l’entreprise : l’un compatible avec la directive CSRD pour les ETI et grandes entreprises, l’autre simplifié pour les TPE/PME. La prochaine vague de dépôt est prévue du 1er juillet au 15 septembre. Avec seulement 260 entreprises adhérentes en mars dernier, dont 160 ayant formalisé un plan d’action, le chemin est encore long pour atteindre l’objectif de 300 entreprises engagées en 2025 et 5 000 en 2030.

Act4Nature et autres initiatives sectorielles

Pour les entreprises à dimension internationale, l’initiative Act4Nature portée par l’association française des Entreprises pour l’Environnement (EpE) offre un cadre particulièrement adapté. Ce dispositif repose sur l’adoption de 10 engagements communs et d’engagements individuels spécifiques à chaque entreprise.

J’ai eu l’occasion d’échanger avec plusieurs dirigeants engagés dans Act4Nature, et tous soulignent la valeur ajoutée de ce réseau international. La prochaine séquence d’engagement est prévue pour le 14 octobre 2024 – une date à marquer dans vos agendas si vous souhaitez valoriser votre entreprise française à l’échelle mondiale.

  • Les crédits biodiversité, en cours d’élaboration par l’IAPB sur le modèle des crédits carbone, promettent de créer un nouveau marché pour financer la restauration des écosystèmes
  • ACT Biodiversity, extension de la méthodologie ACT de l’ADEME, sera disponible début 2026 pour mesurer la contribution des entreprises à la préservation de la biodiversité
  • Le MOOC « Entreprises & Biodiversité » proposé par la LPO et le MEDEF offre une formation gratuite de 6-9 heures pour sensibiliser les collaborateurs

J’ai également suivi avec intérêt l’initiative « Roquelaure entreprises & biodiversité » qui a réuni 8 groupes de travail sectoriels. Ces groupes ont identifié plus de 150 propositions d’actions concrètes – une mine d’or pour les entreprises en quête d’inspiration.

Solutions fondées sur la nature par secteur d’activité

Dans mes analyses sectorielles, j’ai constaté que le bâtiment et la construction figurent parmi les secteurs les plus mobilisés sur les enjeux de biodiversité. Ce n’est pas étonnant quand on sait que l’artificialisation des sols constitue l’une des principales menaces pour les écosystèmes.

Les professionnels du bâtiment peuvent agir concrètement en intégrant la nature en ville et en préservant les continuités écologiques. La végétalisation des façades et des toitures offre de multiples bénéfices : régulation thermique, gestion des eaux pluviales, création d’habitats pour la faune urbaine… Des solutions que j’ai pu observer lors de visites de chantiers innovants à Lyon et ailleurs.

L’utilisation raisonnée du foncier constitue un autre levier d’action majeur. Privilégier la rénovation plutôt que la construction neuve, densifier intelligemment plutôt qu’étaler l’urbanisation, réhabiliter les friches industrielles… Ces approches permettent de limiter l’artificialisation tout en répondant aux besoins de logement et d’activité économique.

D’autres secteurs s’engagent également : l’agroalimentaire avec l’agroécologie, l’énergie avec des parcs photovoltaïques compatibles avec la biodiversité, les cosmétiques avec l’approvisionnement durable en ingrédients naturels… Chaque filière peut développer des solutions adaptées à ses spécificités et contribuer à la préservation du vivant.

La Stratégie nationale biodiversité 2030 a identifié ces secteurs prioritaires et prévoit des accompagnements spécifiques. Sa mesure 31 vise notamment à « accompagner les entreprises pour renforcer leurs engagements et accroître la transparence de leurs actions en matière de biodiversité ». Un signal fort qui devrait inciter les entreprises à passer à l’action sans plus attendre.